Argyropolis ou la Capitale des États confédérés du Río de la Plata est un livre fondamental dans l’œuvre de Domingo Faustino Sarmiento, un texte programmatique qui dénonce la situation d’acéphalie de la nation rioplatense, durant plus de vingt ans de guerres fratricides, et qui propose la réorganisation du territoire selon les principes modernes d’une république fédérale.
Le projet de Sarmiento consistait en la fédération des provinces argentines, du Paraguay et de l'Uruguay pour la création des États-Unis de l’Amérique du Sud. Argyropolis (du grec, argyros qui veut dire argent, plata en espagnol, et polis, qui signifie ville) est ainsi la ville imaginaire conçue par Sarmiento pour devenir la capitale de cette confédération. Placée sur l’île Martín García, dans la confluence du Paraná avec l’Uruguay, cette capitale aurait garantie la neutralité du nouveau gouvernement face aux intérêts des différents États. Par son emplacement stratégique (à l’embouchure des fleuves), elle aurait également assuré la libre navigation fluviale et l’ouverture des économies régionales au commerce international.
Pendant son exil au Chili, Sarmiento écrivit plusieurs textes sur la situation sociale et politique de la région rioplatense. Facundo (1845) est peutêtre celui qui, de nos jours, est le plus reconnu. D’autres travaux ont pourtant eu à l’époque une réception tout aussi forte. C’est le cas d’Argyropolis, un texte que l’on peut qualifier d’utopique, mais qui relève d’un projet structuré, raisonné et bien documenté.
Cette œuvre fut écrite en 1850, juste après les voyages de Sarmiento en Europe et aux États-Unis, et publiée à Santiago du Chili sans la signature de son auteur, qui a sûrement voulu par ce geste donner plus d’efficacité à son projet en évitant les confrontations de caractère personnel. Il essayait ainsi de surmonter les conflits internes et externes des provinces argentines, de l’Uruguay et du Paraguay en mettant en avant les intérêts politiques, sociaux et surtout économiques de chacune des parties.
Dans un paragraphe qui apparaissait comme un soustitre sur la couverture des premières éditions, Sarmiento énonçait l’ambitieux objet du texte : « Solution des difficultés qui empêchent la pacification définitive des Provinces du Río de la Plata, au moyen de la convocation d’un Congrès national et de la création d’une capitale dans l’île de Martín García, aujourd’hui en possession de la France ; possession de laquelle dépendent la libre navigation des fleuves du Paraná, du Paraguay, de l’Uruguay et de leurs affluents, et l’indépendance, le développement et la liberté des républiques du Paraguay et de l’Uruguay, et des provinces argentines du littoral. »
La recherche de consensus pour mener à bien cette tâche est manifeste dès l’introduction du livre : « Aucun sentiment hostile ne dictera les pages qui vont suivre. Elles ont pour base le droit écrit, qui résulte des traités, conventions et pactes qui ont eu lieu entre les gouvernements fédéraux de la République ou Confédération argentine. ». Sarmiento affirmait également que l’ambition de ce livre était de « Finir la guerre, constituer le pays, mettre un terme aux animosités, concilier des intérêts divergents, conserver les autorités existantes, jeter les bases du développement de la richesse, et donner à chaque province et à chaque État intéressé ce qui lui appartient. »
Pour ce faire, Sarmiento n’adressa pas seulement son texte aux gouvernements locaux, mais aussi aux représentants de la France, qui finançait et soutenait par les armes la défense de Montevideo, assiégée par les armées fédérales, et qui occupait militairement l’île Martín García. L’auteur souligna ainsi : « La dignité d’une nation aussi grande, mêlée par accident à des questions aussi petites pour elle, lui impose le devoir de leur donner une solution à la hauteur de son pouvoir et de la position qu’elle occupe parmi les nations civilisées. […] La France rendra l’île de Martín García au délégué des relations extérieures, rien de plus juste. »
En 1826, le Congrès des Provinces-Unies du Río de la Plata instaura un système de gouvernement unitaire avec Buenos Aires comme capitale. Cette mesure fut contestée par les dirigeants des provinces, qui voulaient un modèle d’organisation fédérale, similaire à celui mis en place aux États-Unis. La guerre civile, qui opposa unitaires et fédéraux, dura de 1829 à 1842. En 1827, les fédéraux déléguèrent temporairement la gestion des relations extérieures des provinces au gouverneur de Buenos Aires, ce fut d’abord Manuel Dorrego, puis Juan Manuel de Rosas. En 1831, les provinces signèrent un traité déclarant le modèle de gouvernement fédéral et convinrent de l’appel à un Congrès, qui devait décider de l’avenir de la gestion des affaires étrangères de la nouvelle confédération. Ce Congrès ne se réalisa jamais et Rosas exerça un pouvoir presque absolu jusqu’en 1852.
Sarmiento évoque également le siège de Montevideo s’étendant de 1843 à 1851 dans le contexte de la Guerre civile uruguayenne (18391851), qui a opposé le parti Nacional, aussi appelé parti Blanco (allié des fédéraux argentins), au parti Colorado (soutenu par les unitaires argentins, l’Empire du Brésil, le Royaume de France, le RoyaumeUni, et des volontaires italiens commandés par Garibaldi).